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riz et de froment ; ceux-ci sont surmontés de vignes qui passent d’un échalas à l’autre, formant des guirlandes au-dessus des moissons ; le tout est semé de mûriers, de noyers, d’ormeaux, de saules, de peupliers, et arrosé de rivières et de canaux. Dispersés sur ces terrains, des paysans et des paysannes, les pieds nus, un grand chapeau de paille sur la tête, fauchent les prairies, coupent les céréales, chantent, conduisent des attelages de bœufs, ou font remonter et descendre des barques sur les courants d’eau. Cette scène se prolonge pendant quarante lieues, en augmentant toujours de richesse jusqu’à Milan, centre du tableau. À droite on aperçoit l’Apennin, à gauche les Alpes.

On voyage très vite : les chemins sont excellents ; les auberges, supérieures à celles de France, valent presque celles de l’Angleterre. Je commence à croire que cette France si policée est un peu barbare[1].

  1. Il faut se reporter à l’époque où cette lettre a été écrite (1803). S’il était si commode de voyager alors dans l’Italie, qui n’était qu’un camp de la France, combien aujourd’hui, dans la plus profonde paix, lorsqu’une multitude de nouveaux chemins ont été ouverts, n’est-il pas plus facile encore de parcourir ce beau pays ! Nous y sommes appelés par tous les vœux. Le Français est un singulier ennemi : on le trouve d’abord un peu insolent, un peu trop gai, un peu trop actif, trop remuant ; il n’est pas plus tôt parti qu’on le regrette. Le soldat français se mêle aux travaux de l’hôte chez lequel il est logé ; sa bonne humeur donne la vie et le mouvement à tout ; on s’accoutume à le regarder comme un conscrit de la famille.