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leurs torrents, leurs rochers et leurs forêts. On dit que je comprendrai mieux à Rome cette haine terrible que ne purent assouvir les batailles de la Trébie, de Trasimène et de Cannes : on m’assure qu’aux bains de Caracalla, les murs, jusqu’à hauteur d’homme, sont percés de coups de pique. Est-ce le Germain, le Gaulois, le Cantabre, le Goth, le Vandale, le Lombard, qui s’est acharné contre ces murs ? La vengeance de l’espèce humaine devait peser sur ce peuple libre qui ne pouvait bâtir sa grandeur qu’avec l’esclavage et le sang du reste du monde.

Je partis à la pointe du jour de Saint-André, et j’arrivai vers les deux heures après midi à Lans-le-Bourg, au pied du mont Cenis. En entrant dans le village, je vis un paysan qui tenait un aiglon par les pieds, tandis qu’une troupe impitoyable frappait le jeune roi, insultait à la faiblesse de l’âge et à la majesté tombée : le père et la mère du noble orphelin avaient été tués. On me proposa de me le vendre, mais il mourut des mauvais traitements qu’on lui avait fait subir avant que je le pusse délivrer. N’est-ce pas là le petit Louis XVII, son père et sa mère ?

Ici on commence à gravir le mont Cenis[1], et l’on quitte la petite rivière d’Arche qui vous a conduit au pied de la montagne : de l’autre coté du

  1. On travaillait à la route ; elle n’était pas achevée, et l’on se faisait encore ramasser.