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Chambéry est situé dans un bassin dont les bords, rehaussés, sont assez nus ; mais on y arrive par un défilé charmant, et on en sort par une belle vallée. Les montagnes qui resserrent cette vallée étaient en partie revêtues de neige ; elles se cachaient et se découvraient sans cesse sous un ciel mobile, formé de vapeurs et de nuages.

C’est à Chambéry qu’un homme fut accueilli par une femme, et que pour prix de l’hospitalité qu’il en reçut, de l’amitié qu’elle lui porta, il se crut philosophiquement obligé de la déshonorer. Ou Jean-Jacques Rousseau a pensé que la conduite de Mme de Warens était une chose ordinaire, et alors que deviennent les prétentions du citoyen de Genève à la vertu ? Ou il a été d’opinion que cette conduite était répréhensible, et alors il a sacrifié la mémoire de sa bienfaitrice à la vanité d’écrire quelques pages éloquentes ; ou, enfin, Rousseau s’est persuadé que ses éloges et le charme de son style feraient passer pardessus les torts qu’il impute à Mme de Warens, et alors c’est le plus odieux des amours-propres. Tel est le danger des lettres : le désir de faire du bruit l’emporte quelquefois sur des sentiments nobles et généreux. Si Rousseau ne fût jamais devenu un homme célèbre, il aurait enseveli dans les vallées de la Savoie les faiblesses de la femme qui l’avait nourri ; il se serait sacrifié aux défauts même de son amie ; il l’aurait