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dormant, mes chevaux paissant à quelque distance, j’écoutais la mélodie des eaux et des vents dans la profondeur des bois. Ces murmures, tantôt plus forts, tantôt plus faibles, croissant et décroissant à chaque instant, me faisaient tressaillir ; chaque arbre était pour moi une espèce de lyre harmonieuse dont les vents tiraient d’ineffables accords.

Aujourd’hui je m’aperçois que je suis beaucoup moins sensible à ces charmes de la nature ; je doute que la cataracte de Niagara me causât la même admiration qu’autrefois. Quand on est très jeune, la nature muette parle beaucoup ; il y a surabondance dans l’homme ; tout son avenir est devant lui (si mon Aristarque veut me passer cette expression) ; il espère communiquer ses sensations au monde, et il se nourrit de mille chimères. Mais dans un âge avancé, lorsque la perspective que nous avions devant nous passe derrière, que nous sommes détrompés sur une foule d’illusions, alors la nature seule devient plus froide et moins parlante, les jardins parlent peu. Pour que cette nature nous intéresse encore, il faut qu’il s’y attache des souvenirs de la société ; nous nous suffisons moins à nous-mêmes : la solitude absolue nous pèse, et nous avons besoin de ces conversations qui se font le soir à voix basse entre des amis[1].

  1. Horace.