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Bretagne. Qu’il y a déjà longtemps que j’ai quitté mes bruyères natales ! On vient d’abattre un vieux bois de chênes et d’ormes parmi lesquels j’ai été élevé : je serais tenté de pousser des plaintes, comme ces êtres dont la vie était attachée aux arbres de la magique forêt du Tasse.

J’ai aperçu de loin, au bord de la mer, la tour que l’on appelle Tour de Scipion. À l’extrémité d’un corps de logis que forment une chapelle et une espèce d’auberge, je suis entré dans un camp de pêcheurs : ils étaient occupés à raccommoder leurs filets au bord d’une pièce d’eau. Deux d’entre eux m’ont amené un bateau et m’ont débarqué près d’un pont, sur le terrain de la tour. J’ai passé des dunes, où croissent des lauriers, des myrtes et des oliviers nains. Monté, non sans peine, au haut de la tour, qui sert de point de reconnaissance aux vaisseaux, mes regards ont erré sur cette mer que Scipion avait contemplée tant de fois. Quelques débris des voûtes appelées Grottes de scipion se sont offerts à mes recherches religieuses ; je foulais, saisi de respect, la terre qui couvrait les os de celui dont la gloire cherchait la solitude. Je n’aurai de commun avec ce grand citoyen que ce dernier exil dont aucun homme n’est rappelé.