Page:Chateaubriand - Vie de Rancé, 2è édition, 1844.djvu/293

Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
LIVRE QUATRIÈME

tôt qu’il avait repoussé un coup, il plongeait dans la pénitence : on n’entendait plus qu’une voix au fond des flots, comme ces sons de l’harmonica produits de l’eau et du cristal, qui font mal.

Tel fut Rancé. Cette vie ne satisfait pas, il y manque le printemps : l’aubépine a été brisée lorsque ses bouquets commençaient à paraître, Rancé s’était proposé de courir le monde pour chercher des aventures. Qu’eût-il trouvé ? Les félicités qu’il se forgeait à Véretz ? Non : ces félicités étaient dans son âme. Supposez que prenant l’existence pour une ironie du ciel et que devançant les idées de son époque, il eût rejeté cette existence, son sang eût à peine humecté quelques brins de bruyère. Si, s’embarrassant peu de l’avenir, il eût préféré des plaisirs à l’éternité : autre mécompte ; demain il n’aurait plus aimé.

Les hommes qui ont vieilli dans le désordre pensent que quand l’heure sera venue, ils pourront facilement renvoyer de jeunes grâces à leur destinée, comme on renvoie des esclaves. C’est une erreur ; on ne se dégage pas à volonté des songes ; on se débat douloureusement contre un chaos où le ciel et l’enfer, la haine et l’amour se mêlent dans une confusion effroyable. Vieux voyageur alors, assis sur la borne du chemin, Rancé