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LIVRE QUATRIÈME

Telle est la fatalité chrétienne : la fatalité antique vient de l’objet extérieur, la fatalité chrétienne vient de l’homme ; je veux dire que le chrétien crée la nécessité par sa vertu ; il ne détruit pas le mal ; il en est le maître.

On gardait à la Trappe les portraits de Sa Majesté britannique ; il était conservé là dans son écrin d’oubli. Dans sa jeunesse, Charles X vint apprendre à la Trappe la pénitence de Jacques II. La Trappe elle-même s’ensevelit sous ses ruines, puis elle a été déblayée ; mais que sert, après un demi-siècle, de relever un vaisseau naufragé, quand ceux qui l’avaient chargé de leur fortune et de leurs espérances ne sont plus ? Pendant ces jours de submersion que d’autres grandeurs ont disparu ! on ne s’arrête plus pour écouler les échos des vieux malheurs.

Après le roi d’Angleterre, Monsieur, frère du roi, vint visiter la Trappe. Dans l’enthousiasme de ce qu’il avait vu, il dit à Louis XIV « que la vie qu’on menait dans cette solitude n’édifiait pas seulement la France, mais toute l’Europe, et qu’il était avantageux à l’État de la maintenir. » Monsieur était tout le contraire de la sublimité ascétique. Il était fou du bruit des cloches ; il em-