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LIVRE DEUXIÈME

trouvait que M. de Pomponne n’avait pas assez de grandeur pour lui.

À Véretz, où il revenait toujours, Rancé vit conjurés contre lui une famille nombreuse, des amis mécontents, des domestiques désolés. En voulant se réduire à la pauvreté, il éprouvait les difficultés qu’on rencontre à s’enrichir. On ne pouvait savoir ce qui le poussait ; car, depuis la mort de madame de Montbazon, jamais le nom de cette femme, excepté dans son premier désespoir, n’était sorti de sa bouche. On sentait en lui une passion étouffée, qui jetait sur ses moindres actions l’intérêt d’un combat inconnu.

Ces souvenirs de la terre étaient une haine de la vie, devenue chez lui une véritable obsession. Sa désespérance de l’humanité ressemblait au stoïcisme des anciens, à cela près qu’il passait par le christianisme. Les platoniciens de l’école d’Alexandrie se tuaient pour parvenir au ciel ; mais que de souffrances pour une pauvre âme, lorsqu’elle se débat dans cet état ! Elle éprouve les divers mouvements du suicide, incertitude et terreur, avant qu’elle ait pris sa résolution.

« Je vous avoue, dit l’abbé de la Trappe dans ses lettres, que je ne vois plus un seul homme du monde avec le moindre plaisir. Il y a tantôt