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œuvres de lucile de chateaubriand

jeunes années ; elle se voulait ensevelir dans un cloître. Tout lui était souci, chagrin, blessure : une expression qu’elle cherchait une chimère qu’elle s’était faite, la tourmentaient des mois entiers. Je l’ai souvent vue son bras jeté sur sa tête, rêver immobile et inanimée ; retirée vers son cœur, sa vie cessait de paraître au dehors ; son sein même ne se soulevait plus. Par son attitude, sa mélancolie, sa vénusté, elle ressemblait à un Génie funèbre. J’essayais alors de la consoler, et l’instant d’après, je m’abîmais dans des désespoirs inexplicables.

« Lucile aimait à faire seule vers le soir quelque lecture pieuse : son oratoire de prédilection était l’embranchement des deux routes champêtres marqué par une croix de pierre et par un peuplier dont le long style s’élevait dans le ciel comme un pinceau. Ma dévote mère, toute charmée, disait que sa fille lui représentait une chrétienne de la primitive Église priant à ces stations appelées laures.

« De la concentration de l’âme naissaient chez ma sœur des effets d’esprit extraordinaires : endormie elle avait des songes prophétiques ; éveillée, elle semblait lire dans l’avenir. Sur un palier de l’escalier de la grande tour, battait une pendule qui sonnait le temps du silence ; Lucile, dans ses insomnies, allait s’asseoir sur une marche, en face de cette pendule : elle regardait le cadran à la lueur de sa