Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/513

Cette page a été validée par deux contributeurs.
497
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le 26 juillet 1799, elle fut levée et fit ses prières à l’ordinaire ; dans l’après-dîner, on la coucha. Placé près de la mourante, l’abbé Leforestier lui demanda s’il ne convenait point d’envoyer chercher sa fille « Non, monsieur, répondit-elle, à moins que vous ne l’exigiez ; le sacrifice est fait. »

On lui demanda quelque temps après si elle reconnaissait ceux qui l’approchaient ; elle dit les reconnaître. À neuf heures elle demanda plusieurs fois combien de temps elle avait encore à vivre : « Peut-être trois heures, » lui répondit-on. — « Ah ! s’écria-t-elle, trois heures encore sans voir Dieu ! » À dix heures, elle reçut l’extrême-onction. Elle redoutait son agonie par sa grande crainte d’offenser dans une impatience : elle avait conjuré le Seigneur de lui accorder la grâce de perdre connaissance. Elle la perdit à dix heures et un quart, à onze heures elle expira.

Mademoiselle de Chateaubriand n’était pas fille unique : hélas ! la postérité, en s’attachant à ce nom célèbre, dira les victimes qu’il rappelle, victimes d’un dévouement sans bornes à l’autel et au trône. Un de ses frères, avec tant d’autres braves, avait quitté le sol de la patrie quand sa sœur y périt ; elle avait vu la tombe s’ouvrir devant elle, et ce fut de ses bords qu’elle fit tenir à ce frère, si chéri et si digne de l’être, le dernier gage de sa tendresse. Écoutons-le nous raconter l’effet que cet envoi touchant fit sur son cœur (préface de la première édition du Génie du christianisme) :

« Mes sentiments religieux n’ont pas toujours été ce qu’ils sont aujourd’hui. Tout en avouant la nécessité d’une religion et en admirant le christia-