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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

enfin le parti de ne rien refuser à Dieu, et jeta au feu tous ses manuscrits, sans même épargner un ouvrage commencé auquel elle tenait, disait-elle, avec tout l’engouement de la plus ridicule prévention.

Madame de Farcy fut de ces caractères heureux qui ne se réservent en rien dans leur retour à Dieu ; âme forte et grande, elle quitta tout et trouva tout. Les personnes qui ont eu le bonheur de la connaître le plus intimement et qui ont pu l’apprécier savent ce qu’elle donna et devinent ce qu’elle reçut pour prix d’une immolation entière. Après s’être portée avec une répugnance presque insurmontable à certains sacrifices pénibles, elle s’était souvent demandé ensuite à elle-même : « Qu’est devenu mon chagrin de tantôt ? » .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  

Au milieu d’une vie employée à satisfaire son goût pour les plaisirs de l’esprit, la jeune et brillante Julie avait été frappée d’une maladie très grave ; elle voulut rentrer en elle-même et consulter ses plus secrets sentiments. Alors, se trouvant la tête remplie de tous les ouvrages de poésie qu’elle avait dévorés, et qui étaient comme son unique aliment, elle fut tout à coup saisie de cette pensée : « Je vais être bientôt appelée devant Dieu pour lui rendre compte de ma vie ; que lui répondrai-je ? je ne sais que des vers. » — Lorsque je n’étais encore que depuis peu de temps à Dieu, disait-elle à son amie, je m’étais mis à la torture sur le choix d’un ruban rose ou bleu, voulant prendre le bleu par mortification, et n’ayant pas le courage de résister au rose. »

Réconciliée avec le divin maître, nourrie délicieusement à son banquet adorable, admise, pour récom-