Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/472

Cette page a été validée par deux contributeurs.
456
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

n’allez pas croire, comme quelques-uns se le figurent, que si nous sommes mal à présent, le bien renaîtra du mal ; la nature humaine dérangée à sa source ne marche pas ainsi correctement. Par exemple, les excès de la liberté mènent au despotisme ; mais les excès de la tyrannie ne mènent qu’à la tyrannie ; celle-ci en nous dégradant nous rend incapables d’indépendance : Tibère n’a pas fait remonter Rome à la république, il n’a laissé après lui que Caligula.

Pour éviter de s’expliquer, on se contente de déclarer que les temps peuvent cacher dans leur sein une constitution politique que nous n’apercevons pas. L’antiquité tout entière, les plus beaux génies de cette antiquité, comprenaient-ils la société sans esclaves ? Et nous la voyons subsister. On affirme que dans cette civilisation à naître l’espèce s’agrandira, je l’ai moi-même avancé : cependant n’est-il pas à craindre que l’individu ne diminue ? Nous pourrons être de laborieuses abeilles occupées en commun de notre miel. Dans le monde matériel les hommes s’associent pour le travail, une multitude arrive plus vite et par différentes routes à la chose qu’elle cherche ; des masses d’individus élèveront des pyramides ; en étudiant chacun de son côté, ces individus rencontreront des découvertes dans les sciences, exploreront tous les coins de la création physique. Mais dans le monde moral en est-il de la sorte ? Mille cerveaux auront beau se coaliser, ils ne composeront jamais le chef-d’œuvre qui sort de la tête d’un Homère.

On a dit qu’une cité dont les membres auront une égale répartition de bien et d’éducation présentera aux regards de la Divinité un spectacle au dessus du