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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pas loin), nous trouvâmes tout le monde aux champs, occupé des semailles d’automne et de la récolte des pommes de terre. Ces populations rustiques étaient mieux vêtues, plus polies, et paraissaient plus heureuses que les nôtres. Ne troublons point l’ordre, la paix, les vertus naïves dont elles jouissent, sous prétexte de leur substituer des biens politiques qui ne sont ni conçus ni sentis de la même manière par tous. L’humanité entière comprend la joie du foyer, les affections de famille, l’abondance de la vie, la simplicité du cœur et la religion.

Le Français, si amoureux des femmes, se passe très bien d’elles dans une multitude de soins et de travaux ; l’Allemand ne peut vivre sans sa compagne ; il l’emploie et l’emmène partout avec lui, à la guerre comme au labour, au festin comme au deuil.

En Allemagne, les bêtes mêmes ont du caractère tempéré de leurs raisonnables maîtres. Quand on voyage, la physionomie des animaux est intéressante à observer. On peut préjuger les mœurs et les passions des habitants d’une contrée à la douceur ou à la méchanceté, à l’allure apprivoisée ou farouche, à l’air de gaieté ou de tristesse de cette partie animée de la création que Dieu a soumise à notre empire.

Un accident arrivé à la calèche me força de m’arrêter à Woknabrück. En rôdant dans l’auberge, une porte de derrière me donna l’entrée d’un canal. Par delà s’étendaient des prairies que rayaient des pièces de toile écrue. Une rivière, infléchie sous des collines boisées, servait de ceinture à ces prairies. Je ne sais quoi me rappela le village de Plancoët, où le bon-