Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/172

Cette page a été validée par deux contributeurs.
158
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rait appeler, repris-je : mon noble ami, M. Lainé. Nous étions trois hommes en France qui ne devions jamais prêter serment à Philippe : moi, M. Lainé et M. Royer-Collard. En dehors du gouvernement et dans des positions diverses, nous aurions formé un triumvirat de quelque valeur. M. Lainé a prêté son serment par faiblesse, M. Royer-Collard par orgueil ; le premier en mourra ; le second en vivra, parce qu’il vit de tout ce qu’il fait, ne pouvant rien faire qui ne soit admirable.

« — Vous avez été content de monsieur le duc de Bordeaux ?

« — Je l’ai trouvé charmant. On assure que Votre Majesté le gâte un peu.

« — Oh ! non, non. Sa santé, en avez-vous été content ?

« — Il m’a semblé se porter à merveille ; il est délicat et un peu pâle.

« — Il a souvent de belles couleurs ; mais il est nerveux. — Monsieur le dauphin est fort estimé dans l’armée, n’est-ce pas ? fort estimé ? on se souvient de lui, n’est-ce pas ? »

Cette brusque question, sans liaison avec ce que nous venions de dire, me dévoila une plaie secrète que les jours de Saint-Cloud et de Rambouillet avaient laissée dans le cœur de la dauphine. Elle ramenait le nom de son mari pour se rassurer ; je courus au devant de la pensée de la princesse et de l’épouse ; j’affirmai, avec raison, que l’armée se souvenait toujours de l’impartialité, des vertus, du courage de son généralissime.

Voyant l’heure de la promenade arriver :