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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Russie, elle se saisirait de la Bosnie et de la Servie, nous laissant la satisfaction de nous évertuer pour Mahmoud.

« La France est déjà dans une demi-hostilité avec les Turcs ; elle seule a déjà dépensé plusieurs millions et exposé vingt mille soldats dans la cause de la Grèce ; l’Angleterre ne perdrait que quelques paroles en trahissant les principes du traité du 6 de juillet ; la France y perdrait honneur, hommes et argent : notre expédition ne serait plus qu’une vraie cacade politique.

« Mais, si nous ne nous unissons pas à l’Autriche et à l’Angleterre, l’empereur Nicolas ira donc à Constantinople ? l’équilibre de l’Europe sera donc rompu ?

« Laissons, pour le répéter encore une fois, ces frayeurs feintes ou vraies à l’Angleterre et à l’Autriche. Que la première craigne de voir la Russie s’emparer de la traite du Levant et devenir puissance maritime, cela nous importe peu. Est-il donc si nécessaire que la Grande-Bretagne reste en possession du monopole des mers, que nous répandions le sang français pour conserver le sceptre de l’Océan aux destructeurs de nos colonies, de nos flottes et de notre commerce ? Faut-il que la race légitime mette en mouvement des armées, afin de protéger la maison qui s’unit à l’illégitimité et qui réserve peut-être pour des temps de discorde les moyens qu’elle croit avoir de troubler la France ? Bel équilibre pour nous que celui de l’Europe, lorsque toutes les puissances, comme je l’ai déjà montré, ont augmenté leurs masses et diminué d’un commun accord le