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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

terre se déclaraient pour la Turquie ? Il n’y a pas lieu de le croire.

« Il existe sans doute dans le cabinet de Berlin un parti qui hait et qui craint le cabinet de Saint-Pétersbourg ; mais ce parti, qui d’ailleurs commence à vieillir, trouve pour obstacle le parti anti-autrichien et surtout des affections domestiques.

« Les liens de famille, faibles ordinairement entre les souverains, sont très forts dans la famille de Prusse : le roi Frédéric-Guillaume III aime tendrement sa fille, l’impératrice actuelle de Russie, et il se plaît à penser que son petit-fils montera sur le trône de Pierre le Grand ; les princes Frédéric, Guillaume, Charles, Henri-Albert, sont aussi très attachés à leur sœur Alexandra ; le prince royal héréditaire[1] ne faisait pas de difficulté de déclarer dernièrement à Rome qu’il était turcophage.

« En décomposant ainsi les intérêts, on s’aperçoit que la France est dans une admirable position politique : elle peut devenir l’arbitre de ce grand débat ; elle peut à son gré garder la neutralité ou se déclarer pour un parti, selon le temps et les circonstances. Si elle était jamais obligée d’en venir à cette extrémité, si ses conseils n’étaient pas écoutés, si la noblesse et la modération de sa conduite ne lui obtenaient pas la paix qu’elle désire pour elle et pour les autres ; dans la nécessité où elle se trouverait de prendre les armes, tous ses intérêts la porteraient du côté de la Russie.

« Qu’une alliance se forme entre l’Autriche et l’An-

  1. Il monta sur le trône en 1840 sous le titre de Frédéric-Guillaume IV.