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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

cessant pas d’être turques, demeureraient vulnérables aux armes de la Russie.

« La liberté du commerce de la mer Noire, l’ouverture de cette mer à toutes les flottes de l’Europe et de l’Amérique, ébranleraient la puissance de la Porte dans ses fondements. Octroyer le passage des vaisseaux de guerre sous Constantinople, c’est, par rapport à la géographie de l’empire ottoman, comme si l’on reconnaissait le droit à des armées étrangères de traverser en tout temps la France le long des murs de Paris.

« Enfin, où la Turquie prendrait-elle de l’argent pour payer les frais de la campagne ? Le prétendu trésor des sultans est une vieille fable. Les provinces conquises au delà du Caucase pourraient être, il est vrai, cédées comme hypothèque de la somme demandée ; des deux armées russes, l’une, en Europe, me semble être chargée des intérêts de l’honneur de Nicolas ; l’autre, en Asie, de ses intérêts pécuniaires. Mais si Nicolas ne se croyait pas lié par les déclarations de son manifeste, l’Angleterre verrait-elle d’un œil indifférent le soldat moscovite s’avancer sur la route de l’Inde ? N’a-t-elle pas déjà été alarmée, lorsqu’en 1827 il a fait un pas de plus dans l’empire persan ?

« Si la double difficulté qui naît et de la mise à exécution du traité, et de la pertinence des conditions d’une paix entre la Turquie et la Russie ; si cette double difficulté rendait inutiles les efforts tentés pour vaincre tant d’obstacles ; si une seconde campagne s’ouvrait au printemps, les puissances de l’Europe prendraient-elles parti dans la querelle ?