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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la conduite d’une race d’hommes qui n’ont point les idées européennes. À la fois rusés comme des esclaves et orgueilleux comme des tyrans, la colère n’est jamais chez eux tempérée que par la peur. Le sultan Mahmoud II, sous quelques rapports, paraît un prince supérieur aux derniers sultans ; il a surtout le courage politique ; mais a-t-il le courage personnel ? Il se contente de passer des revues dans les faubourgs de sa capitale, et se fait supplier par les grands de n’aller pas même jusqu’à Andrinople. La populace de Constantinople serait mieux contenue par les triomphes que par la présence de son maître.

« Admettons toutefois que le Divan consente à des pourparlers sur les bases du traité du 6 juillet. La négociation sera très épineuse ; quand il n’y aurait à régler que les limites de la Grèce, c’est à n’en pas finir. Où ces limites seront-elles posées sur le continent ? Combien d’îles seront-elles rendues à la liberté ? Samos, qui a si vaillamment défendu son indépendance, sera-t-elle abandonnée ? Allons plus loin, supposons les conférences établies : paralyseront-elles les armées de l’empereur Nicolas ? Tandis que les plénipotentiaires des Turcs et des trois puissances alliées négocieront dans l’Archipel, chaque pas des troupes envahissantes dans la Bulgarie changera l’état de la question. Si les Russes étaient repoussés, les Turcs rompraient les conférences ; si les Russes arrivaient aux portes de Constantinople, il s’agirait bien de l’indépendance de la Morée ! Les Hellènes n’auraient besoin ni de protecteurs ni de négociateurs.