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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

printemps. Les sautillements sur les ruines du Capitole, les mœurs uniformes que la grande société porte partout, sont des choses bien étranges : si j’avais encore la ressource de me sauver dans les déserts de Rome !

« Ce qu’il y a de vraiment déplorable ici, ce qui jure avec la nature des lieux, c’est cette multitude d’insipides Anglaises et de frivoles dandys qui, se tenant enchaînés par les bras comme des chauves-souris par les ailes, promènent leur bizarrerie, leur ennui, leur insolence dans vos fêtes, et s’établissent chez vous comme à l’auberge. Cette Grande-Bretagne vagabonde et déhanchée, dans les solennités publiques, saute sur vos places et boxe avec vous pour vous en chasser : tout le jour elle avale à la hâte les tableaux et les ruines, et vient avaler, en vous faisant beaucoup d’honneur, les gâteaux et les glaces de vos soirées. Je ne sais pas comment un ambassadeur peut souffrir ces hôtes grossiers et ne les fait pas consigner à sa porte. »

J’ai parlé dans le Congrès de Vérone de l’existence de mon Mémoire sur l’Orient[1]. Quand je l’envoyai de Rome en 1828 à M. le comte de La Ferronnays, alors ministre des affaires étrangères, le monde n’était pas ce qu’il est : en France, la légitimité existait ; en Russie, la Pologne n’avait pas péri ; l’Espagne était encore bourbonienne ; l’Angleterre n’avait pas encore l’honneur de nous protéger. Beaucoup de choses ont donc vieilli dans ce Mémoire : aujourd’hui, ma politique extérieure, sous plusieurs rapports, ne serait plus la

  1. Voir le Congrès de Vérone, t. I, p. 374.