Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

parcimonie et sont devenus leurs propres gens d’affaires. Quand on a le bonheur (ce qui est fort rare) d’être admis chez eux le soir, on traverse de vastes salles sans meubles, à peine éclairées, le long desquelles des statues antiques blanchissent dans l’épaisseur de l’ombre, comme des fantômes ou des morts exhumés. Au bout de ces salles, le laquais déguenillé qui vous mène vous introduit dans une espèce de gynécée : autour d’une table sont assises trois ou quatre vieilles ou jeunes femmes mal tenues, qui travaillent à la lueur d’une lampe à de petits ouvrages, en échangeant quelques paroles avec un père, un frère, un mari à demi couchés obscurément en retraite, sur des fauteuils déchirés. Il y a pourtant je ne sais quoi de beau, de souverain, qui tient de la haute race, dans cette assemblée retranchée derrière des chefs-d’œuvre et que vous avez prise d’abord pour un sabbat. L’espèce des sigisbées est finie, quoiqu’il y ait encore des abbés porte-châles et porte-chaufferettes ; par-ci, par-là, un cardinal s’établit encore à demeure chez une femme comme un canapé.

Le népotisme et le scandale des pontifes ne sont plus possibles, comme les rois ne peuvent plus avoir de maîtresses en titre et en honneurs. À présent que la politique et les aventures tragiques d’amour ont cessé de remplir la vie des grandes dames romaines, à quoi passent-elles leur temps dans l’intérieur de leur ménage ? Il serait curieux de pénétrer au fond de ces mœurs nouvelles ; si je reste à Rome, je m’en occuperai.

Je visitai Tivoli le 18 décembre 1803 ; à cette