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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

temps nouveaux. Dans les républiques de Rome et d’Athènes, les titres de roi, les noms des grandes familles tenant à la monarchie, n’étaient-ils pas respectueusement conservés ? Il n’y a que les Français qui se fâchent sottement contre leurs tombeaux et leurs annales, qui abattent les croix, dévastent les églises, en rancune du clergé de l’an de grâce 1000 ou 1100. Rien de plus puéril ou de plus bête que ces outrages de réminiscence ; rien qui porterait davantage à croire que nous ne sommes capables de quoi que ce soit de sérieux, que les vrais principes de la liberté nous demeureront à jamais inconnus. Loin de mépriser le passé, nous devrions, comme le font tous les peuples, le traiter en vieillard vénérable qui raconte à nos foyers ce qu’il a vu : quel mal nous peut-il faire ? Il nous instruit et nous amuse par ses récits, ses idées, son langage, ses manières, ses habits d’autrefois ; mais il est sans force, et ses mains sont débiles et tremblantes. Aurions-nous peur de ce contemporain de nos pères, qui serait déjà avec eux dans la tombe s’il pouvait mourir, et qui n’a d’autorité que celle de leur poussière ?

Les Français, en traversant Rome, y ont laissé leurs principes : c’est ce qui arrive toujours quand la conquête est accomplie par un peuple plus avancé en civilisation que le peuple qui subit cette conquête, témoin les Grecs en Asie sous Alexandre, témoin les Français en Europe sous Napoléon. Bonaparte, en enlevant les fils à leurs mères, en forçant la noblesse italienne à quitter ses palais et à porter les armes, hâtait la transformation de l’esprit national.

Quant à la physionomie de la société romaine, les