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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

était particulièrement dur pour la personne de Louis-Philippe. Chateaubriand fut traduit devant les tribunaux pour délit de presse. Déjà, au mois de juin précédent, il avait été arrêté et retenu en prison pendant quinze jours, comme prévenu de complot contre la sûreté de l’État. Au lieu de le traîner en prison, au lieu de le traduire en cour d’assises et de lui préparer ainsi des ovations, le gouvernement — si le fait rapporté par Castellane eût été vrai — aurait eu un moyen bien simple de faire taire Chateaubriand : il lui aurait suffi de dire : « M. de Chateaubriand a reçu 100 000 francs du Roi. » — On ne l’a pas dit, et on ne pouvait pas le dire, parce que Chateaubriand n’avait rien reçu.

Et comment eût-il consenti à recevoir l’argent de Louis-Philippe, son ennemi, lui qui ne voulait même pas accepter celui que lui offrait le vieux roi auquel il restait si honorablement fidèle ? À l’avènement du ministère Polignac, il avait donné sa démission d’ambassadeur à Rome, et il était revenu à Paris, non seulement sans le sou, mais chargé d’une dette de soixante mille francs contractée pendant son ambassade. Au mois de juillet 1832, une trentaine de mille francs lui restait encore à payer sur ces soixante mille, en outre de ses vieilles dettes. « M. le duc de Lévis, dit-il dans ses Mémoires, à son retour d’un voyage en Écosse (au mois d’octobre 1831), m’avait dit de la part de Charles X que ce prince voulait continuer à me faire ma pension de pair ; je crus devoir refuser cette offre. Le duc de Lévis revint à la charge quand il me vit au sortir de la prison (juillet 1832) dans l’embarras le plus cruel, ne trouvant rien de ma maison et de mon jardin rue d’Enfer, et étant harcelé par une nuée de créanciers. J’avais déjà vendu mon argenterie. Le duc de Lévis m’apporta vingt mille francs, me disant noblement que ce n’était pas les deux années de pension de pairie que le roi reconnaissait me devoir, et que mes dettes à Rome