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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ceux qui ne possèdent pas. Un roi est la clef de la voûte sociale ; un roi, vraiment roi, est la force, le principe, la pensée de l’État, et les rois sont des conditions essentielles à la vie de cette vieille Europe, qui ne peut maintenir sa suprématie sur le monde que par le luxe, les arts et la pensée. Tout cela ne vit, ne naît et ne prospère que sous un immense pouvoir…

Napoléon a péri comme ces Pharaons de l’Écriture, au milieu d’une mer de sang, de soldats, de chariots brisés, et dans le vaste linceul d’une plaine de fumée ; il a laissé la France plus petite que les Bourbons ne l’avaient faite ; ceux-ci sont tombés, ne versant guère que le sang des leurs, à peine tachés du sang des gens qui avaient pris les armes pour la défense d’un contrat, et qui, dans la victoire, l’ont méconnu.

Eh bien, ces souverains bannis laissent la France agrandie et florissante. Les preneurs à bail, qui vont essayer d’entreprendre le bonheur des peuples, apprendront à leurs dépens la signification du mot catholicisme, si souvent jeté comme un reproche à ce vieillard que nous déportons.[1]

Le récit de Balzac se ferme sur le mot suivant :

Là-bas, dis-je, en montrant le vaisseau, est le droit et la logique ; hors de cet esquif sont les tempêtes.

Philarète Chasles, dans ses Mémoires, résume ainsi son jugement sur l’auteur de la Comédie humaine : « C’était un voyant, non un observateur.[2] » Si le mot est vrai du romancier, il ne l’est pas moins du publiciste. Dans le Départ et dans plusieurs autres de ses écrits politiques, Balzac a été un voyant.

VI

LE SAC DE SAINT-GERMAIN-L’AUXERROIS[3]

Dans les premiers jours de juillet 1831, six mois après le sac de Saint-Germain-l’Auxerrois, le bruit s’était répandu

  1. Œuvres complètes de H. de Balzac, t. XXIII.
  2. Mémoires de Philarète Chasles, t. I, p. 419.
  3. Ci-dessus, p. 334.