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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

peuple par ce mot : « Plus de supériorité sociale ! plus de nobles ! plus de privilèges ! » Les ouvriers, à leur tour, la traduiront par cet autre mot : « Plus d’impôts, et de l’or ! » La France connaîtra bientôt une révolution nouvelle. « Les gens qui mènent par les chemins le convoi de la monarchie légitime enterreront eux-mêmes l’adjudicataire au rabais de la couronne et du pouvoir. » Après avoir ainsi prédit 1848, Balzac décrit en ces termes les temps que nous voyons, le combat auquel nous assistons aujourd’hui :

Ce combat de la médiocrité contre la richesse, de la pauvreté contre la médiocrité, n’aura pour chefs que des gens médiocres, et l’inhabileté débordera du haut en bas sur ce pays si riche en ce moment, et il nous faudra payer cher l’éducation de nos nouveaux souverains, de nos nouveaux législateurs… Il n’y aura plus qu’un seul pouvoir armé, celui de la représentation nationale ; il n’y aura qu’une seule chose dont on ne doutera pas, la misère !

Tout cela, disait Balzac, sera le prix du passage de cette famille sur ce vaisseau. Il ajoutait, — et cette parole encore se devait réaliser : « Un moment viendra que secrètement ou publiquement, la moitié des Français regrettera le départ de ce vieillard, de cet enfant, et dira : « Si la révolution de 1830 était à faire, elle ne se ferait pas. »

Je voudrais pouvoir tout citer de cet admirable écrit, j’en reproduirai du moins cette page sur les Bourbons :

Quand ils revinrent, ils rapportèrent les olives de la paix, la prospérité de la paix, et sauvèrent la France, la France déjà partagée. S’ils payèrent les dettes de l’exil, ils payèrent les dettes de l’Empire et de la République. Ils versèrent si peu de sang, qu’aujourd’hui ces tyrans pacifiques s’en vont sans avoir été défendus, parce que leurs amis ne les savaient pas attaqués. Dans quelques mois, vous saurez que, même en méprisant les rois, nous devons mourir sur le seuil de leur palais, en les protégeant, parce qu’un roi, c’est nous-mêmes, un roi, c’est la patrie incarnée ; un roi héréditaire est le sceau de la propriété, le contrat vivant qui lie entre eux tous ceux qui possèdent contre