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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

mes folies, de mes vagues tristesses ; cherchant toujours ce que je ne puis trouver ; joignant à mes anciens maux le désenchantement de l’expérience, la solitude des déserts à l’ennui du cœur et la disgrâce des années, dis, n’aurai-je pas fourni aux démons, dans ma personne, l’idée d’un supplice qu’ils n’avaient point encore inventé dans la région des douleurs éternelles ?

Fleur charmante que je ne veux point cueillir, je t’adresse mes derniers chants de tristesse, tu ne les entendras qu’après ma mort, quand j’aurai réuni ma vie au faisceau des lyres brisées…

V

LE DÉPART DE CHERBOURG[1]

C’était le 16 août 1830. Un vaisseau de guerre, le Great-Britain, prêt à mettre à la voile, attendait ses passagers. Ce fut un douloureux et inoubliable spectacle, lorsque, devant les gardes du corps qui avaient suivi la famille royale et qui lui présentaient une dernière fois les armes, on vit passer le vieux roi, le dauphin son fils, la fille de Louis XVI, appuyée sur le bras de M. de La Rochejaquelein ; Madame, duchesse de Berry, conduite par le baron de Charette ; le duc de Bordeaux, porté par son gouverneur, M. de Damas ; et, à quelques pas, sa sœur, Mademoiselle, celle à qui M. le duc de Berry avait dit, quelques instants avant de mourir : « Mon enfant, puissiez-vous être moins malheureuse que ceux de votre famille ! » — Mademoiselle, destinée à voir un jour son mari assassiné comme l’avait été son père ![2] Le roi Charles X s’embarqua le der-

  1. Ci-dessus, p. 401.
  2. Le 26 mars 1854, le duc de Parme, Charles de Bourbon, qui avait épousé la fille du duc de Berry, fut frappé au cœur d’un coup de stylet par un nouveau Louvel. Quelques heures après, il mourait dans les bras de sa femme. « Ce fut une scène pleine de larmes, écrivait un témoin ; elle en rappelait une autre qui avait fait dire à Dupuytren ce mot expressif : Dieu était là ! »