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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

les âges de ténèbres et de force, le christianisme devient chez les peuples modernes le perfectionnement même de la société.

Éminentissimes seigneurs, vous choisirez pour exercer le pouvoir des clefs un homme de Dieu et qui comprendra bien sa haute mission. Par son caractère universel qui n’a jamais eu de modèle ou d’exemple dans l’histoire, un conclave n’est pas le conseil d’un État particulier, mais celui d’une nation composée de nations les plus diverses et répandue sur la surface du globe. Vous êtes, Éminentissimes seigneurs, les augustes mandataires de l’immense famille chrétienne pour un moment orpheline. Des hommes qui ne vous ont jamais vus, qui ne vous verront jamais, qui ne savent pas vos noms, qui ne parlent pas votre langue, qui habitent loin de vous sous un autre soleil, au delà des mers, aux extrémités de la terre, se soumettront à vos décisions que rien en apparence ne les oblige à suivre, obéiront à vos lois qu’aucune force matérielle n’impose, accepteront de vous un père spirituel avec respect et gratitude : tels sont les prodiges de la conviction religieuse. Princes de l’Église, il vous suffira de laisser tomber vos suffrages sur l’un d’entre vous pour donner à la communion des fidèles un chef qui, puissant par la doctrine et l’autorité du passé, n’en connaisse pas moins les nouveaux besoins du présent et de l’avenir, un pontife d’une vie sainte, mêlant la douceur de la charité à la sincérité de la foi. Toutes les couronnes forment le même vœu, toutes ont un même besoin de modération et de paix : que ne doit-on pas attendre de cette heureuse harmonie ? que ne peut-on pas espérer, Éminentissimes seigneurs, de vos lumières et de vos vertus ?

Il ne me reste qu’à vous renouveler l’expression de la sincère estime et de la parfaite affection du souverain aussi pieux que magnanime dont j’ai l’honneur d’être l’interprète auprès de vous.

III

LE JOURNAL SECRET DU CONCLAVE[1]

Le devoir de Chateaubriand, comme ambassadeur de France, était de suivre de très près les opérations du Conclave. Aussi bien, comme il l’écrit à Mme Récamier, le

  1. Ci-dessus, page 183.