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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

chent au grand nom de l’Italie. Successeur futur de Léon XII, qui que vous soyez, vous m’écoutez sans doute en ce moment : pontife à la fois présent et inconnu, vous allez bientôt vous asseoir dans la chaire de Saint Pierre, à quelques pas du Capitole, sur les tombeaux de ces Romains de la République et de l’Empire, qui passèrent de l’idôlatrie des vertus à celle des vices, sur ces catacombes où reposent les ossements non entiers d’une autre espèce de Romains : quelle parole pourrait s’élever à la majesté du sujet ? Quelle voix pourrait s’ouvrir un passage à travers cet amas d’années qui ont étouffé tant de voix plus puissantes que la mienne ? Vous-même, illustre sénat de la chrétienté, pour soutenir le poids de ces innombrables souvenirs, pour regarder en face les siècles rassemblés autour de vous sur les ruines de Rome, n’avez-vous pas besoin de vous appuyer à l’autel du sanctuaire, comme moi au trône de Saint Louis ?

À Dieu ne plaise. Éminentissimes seigneurs, que je vous entretienne ici de quelque intérêt particulier, que je vous fasse entendre le langage d’une étroite politique : les choses sacrées veulent être envisagées aujourd’hui sous des rapports plus généraux et plus dignes. Le christianisme, qui renouvela d’abord la face du monde, a vu depuis se transformer les sociétés auxquelles il avait donné la vie. Au moment même où je parle, le genre humain est arrivé à l’une des époques caractéristiques de son existence, la religion chrétienne est encore là pour la saisir, parce qu’elle garde dans son sein tout ce qui convient aux esprits éclairés et aux cœurs généreux, tout ce qui est nécessaire au monde qu’elle a sauvé de la corruption du paganisme et de la destruction de la barbarie. En vain l’impiété a prétendu que le christianisme favorisait l’oppression et faisait rétrograder les jours : à la publication du nouveau pacte scellé du sang du juste, l’esclavage a cessé d’être le droit commun des nations ; l’effroyable définition de l’esclavage a été effacée du code romain : Non tam viles quam nulli sunt. Les sciences, demeurées presque stationnaires dans l’antiquité, ont reçu une impulsion rapide de cet esprit apostolique et rénovateur qui hâta l’écroulement du vieux monde ; partout où le christianisme s’est éteint, la servitude et l’ignorance ont reparu. Lumière quand elle se mêle aux facultés intellectuelles, sentiment quand elle s’associe aux mouvements de l’âme, la religion chrétienne croit avec la civilisation, et marche avec le temps ; un des caractères de la perpétuité qui lui est promise, c’est d’être toujours du siècle qu’elle voit passer, sans passer elle-même. La morale évangélique, raison divine, appuie la raison humaine dans ses progrès vers un but qu’elle n’a point encore atteint : après avoir traversé