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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

regarder la lâcheté de votre usurpation comme un effort de votre vertu ! Seriez-vous, par hasard, Brutus sacrifiant ses fils à la grandeur de Rome ?

J’ai pu comparer dans ma vie la renommée littéraire à la popularité ; la première, pendant quelques heures, m’a plu, mais cet amour de renommée a passé vite. Quant à la popularité, elle m’a trouvé indifférent, parce que, dans la Révolution, j’ai trop vu d’hommes entourés de ces masses qui, après les avoir élevés sur le pavois, les précipitaient dans l’égoût. Démocrate par nature, aristocrate par mœurs, je ferais très volontiers l’abandon de ma fortune et de ma vie au peuple, pourvu que j’eusse peu de rapports avec la foule. Toutefois, j’ai été extrêmement sensible au mouvement des jeunes gens de Juillet qui me portèrent en triomphe à la Chambre des pairs ; c’est qu’ils ne m’y portaient pas pour être leur chef et parce que je pensais comme eux ; ils rendaient seulement justice à un ennemi : ils reconnaissaient en moi un homme de liberté et d’honneur ; cette générosité me touchait. Mais cette autre popularité que je viens d’acquérir dans mon propre parti ne m’a pas causé d’émotion ; entre les royalistes et moi il y a quelque chose de glacé : nous désirons le même roi ; à cela près, la plupart de nos vœux sont opposés.