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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

roi, c’était condamner la révolution de Juillet ; mais aujourd’hui cet arrêt ne signifie rien, parce qu’il n’y a en toute chose ni opinion ni durée. En vingt-quatre heures tout est changé ; je serais condamné demain pour le fait sur lequel j’ai été acquitté aujourd’hui.

Je suis allé mettre ma carte chez les jurés et notamment chez M. Chevet[1], l’un des membres de la pairie universelle.

Il avait été plus aisé à l’honnête citoyen de trouver dans sa conscience un arrêt en ma faveur qu’il ne m’eût été facile de trouver dans ma poche l’argent nécessaire pour joindre au bonheur de l’acquittement le plaisir de faire chez mon juge un bon dîner : M. Chevet a prononcé avec plus d’équité sur la légitimité, l’usurpation et sur l’auteur du Génie du christianisme que beaucoup de publicistes et de censeurs.

Paris, avril 1833.

Le Mémoire sur la captivité de madame la duchesse de Berry m’a valu dans le parti royaliste une immense popularité. Les députations et les lettres me sont arrivées de toutes parts. J’ai reçu du nord et du midi de la France des adhésions couvertes de plusieurs milliers de signatures. Elles demandent toutes, en s’en référant à ma brochure, la mise en liberté de madame la duchesse de Berry. Quinze cents jeunes gens de Paris sont venus me complimenter, non sans un grand émoi de la police ; j’ai reçu une coupe de vermeil avec

  1. Le célèbre marchand de comestibles du Palais-Royal. Hélas ! les Dieux s’en vont, Comus comme Momus. À l’heure où j’écris cette note, la maison Chevet vient d’éteindre ses fourneaux.