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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Lorsque les jurés rentrèrent et prononcèrent non coupable, des applaudissements éclatèrent, je fus environné par des jeunes gens qui avaient pris pour entrer des robes d’avocats : M. Carrel était là.

La foule grossit à ma sortie ; il y eut une rixe dans la cour du palais entre mon escorte et les sergents de ville. Enfin, je parvins à grand’peine chez moi au milieu de la foule qui suivait mon fiacre en criant : Vive Chateaubriand[1] !

Dans un autre temps, cet acquittement eût été très significatif ; déclarer qu’il n’était pas coupable de dire à la duchesse de Berry : Madame, votre fils est mon

    zèle avec lequel il poursuivit les journaux républicains et les journaux légitimistes, également coupables à ses yeux, et qui étaient, il faut le dire, également violents, lui valut pendant plusieurs années une impopularité formidable. Il fut longtemps la cible des caricaturistes et l’une des bêtes noires des petits journaux, de la Mode surtout, qui avait sans cesse à son service des paquets d’épingles. Un jour, elle annonça sa mort en ces termes : « M. Persil est mort pour avoir mangé du perroquet. »

  1. M. de Falloux, qui avait pu pénétrer dans la salle en revêtant indûment une robe d’avocat, a raconté cette scène dans ses Mémoires. Lorsque le président eut annoncé l’acquittement de tous les prévenus, la foule se pressa autour de Berryer et de Chateaubriand. Ce dernier dut se cramponner au bras de M. de Falloux pour n’être pas renversé. « Je n’aime pas le train ! répétait-il, je n’aime pas le train ! menez-moi vite à ma voiture ! » Mais sur le perron les acclamations redoublèrent : « Vive Chateaubriand ! Vive la liberté de la presse ! » On voulait dételer ses chevaux et s’atteler à la voiture. « N’en faites rien, suppliait-il, c’est très loin ! c’est très loin ! c’est impossible ! » Enfin le cocher parvint à se dégager et partit au galop. Quant à M. de Falloux, il avait la tête et le cœur si remplis de ce qu’il venait d’entendre, qu’il s’en allait à travers les rues avec sa robe empruntée d’avocat, emportant sous son bras le grand portefeuille de Chateaubriand. (Mémoires d’un royaliste, par M. de Falloux, t. I, p. 60.)