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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

déplore les désastres de l’autre : vaincu, je me suis prescrit des devoirs, comme les vainqueurs se sont imposé des intérêts. Je tâche de me retirer du monde avec ma propre estime ; dans la solitude, il faut prendre garde au choix que l’on fait de sa compagne.

En France, pays de vanité, aussitôt qu’une occasion de faire du bruit se présente, une foule de gens la saisissent : les uns agissent par bon cœur, les autres par la conscience qu’ils ont de leur mérite. J’eus donc beaucoup de concurrents ; ils sollicitèrent, ainsi que moi, de madame la duchesse de Berry, l’honneur de la défendre. Du moins, ma présomption à m’offrir pour champion à la princesse était un peu justifiée par d’anciens services : si je ne jetais pas dans la balance l’épée de Brennus, j’y mettais mon nom : tout peu important qu’il est, il avait déjà remporté quelques victoires pour la monarchie. J’ai ouvert mon Mémoire sur la captivité de Madame la duchesse de Berry[1] par une considération dont je suis vivement frappé ; je l’ai souvent reproduite, et il est probable que je la reproduirai encore.

« On ne cesse, disais-je, de s’étonner des événements ; toujours on se figure d’atteindre le dernier ; toujours la révolution recommence. Ceux qui, depuis quarante années, marchent pour arriver au terme, gémissent ; ils croyaient s’asseoir quelques heures au bord de leur tombe : vain espoir ! le temps frappe ces voyageurs pantelants et les force d’avancer. Que de fois, depuis qu’ils cheminent, la vieille monarchie est

  1. Le Mémoire sur la captivité de Mme la duchesse de Berry, parut le 29 décembre 1832.