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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Paris, 19 mai 1832.
« Monsieur le comte,

« On est toujours mal à l’aise pour répondre à des éloges ; quand celui qui les donne avec autant d’esprit que de convenance est de plus dans une condition sociale à laquelle se rattachent des souvenirs hors de pair, l’embarras redouble. Du moins, monsieur, nous nous rencontrons dans une sympathie commune ; vous voulez avec votre jeunesse, comme moi avec mes vieux jours, l’honneur de la France. Il ne manquait plus à l’un et à l’autre, pour mourir de confusion ou de rire, que de voir le juste-milieu bloqué dans Ancône par les soldats du pape. Ah ! monsieur, où est votre oncle ? À d’autres que vous je dirais : Où est le tuteur des rois et le maître de l’Europe ? En défendant la cause de la légitimité, je ne me fais aucune illusion ; mais je pense que tout homme qui tient à l’estime publique doit rester fidèle à ses serments : lord Falkland, ami de la liberté et ennemi de la cour, se fit tuer à Newbury dans l’armée de Charles Ier. Vous vivrez, monsieur le comte, pour voir votre patrie libre et heureuse ; vous traversez des ruines parmi lesquelles je resterai, puisque je fais moi-même partie de ces ruines.

« Je m’étais flatté un moment de l’espoir de mettre cet été l’hommage de mon respect aux pieds de madame la duchesse de Saint-Leu : la fortune, accoutumée à déjouer mes projets, m’a encore trompé cette fois. J’aurais été heureux de vous remercier de vive voix de votre obligeante lettre ;