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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

més et surpris, nous commencions à les écouter : c’était une scène d’un conte de fée. Les harmonies ne renaissant pas, je lus à madame Récamier ma description du Saint-Gothard ; elle me pria d’écrire quelque chose sur ses tablettes, déjà à demi remplies des détails de la mort de J.-J. Rousseau. Au-dessous de ces dernières paroles de l’auteur d’Héloïse : « Ma femme, ouvrez la fenêtre, que je voie encore le soleil, » je traçai ces mots au crayon : Ce que je voulais sur le lac de Lucerne, je l’ai trouvé sur le lac de Constance, le charme et l’intelligence de la beauté. Je ne veux point mourir comme Rousseau ; je veux encore voir longtemps le soleil, si c’est près de vous que je dois achever ma vie. Que mes jours expirent à vos pieds, comme ces vagues dont vous aimez le murmure. — 28 août 1832.

L’azur du lac veillait derrière les feuillages ; à l’horizon du midi, s’amoncelaient les sommets de l’Alpe des Grisons ; une brise passant et se retirant à travers les saules s’accordait avec l’aller et le venir de la vague : nous ne voyions personne ; nous ne savions où nous étions.

En rentrant à Constance, nous avons aperçu madame la duchesse de Saint-Leu et son fils Louis-Napoléon : ils venaient au-devant de madame Récamier. Sous l’Empire je n’avais point connu la reine de Hollande ; je savais qu’elle s’était montrée généreuse lors de ma démission à la mort du duc d’Enghien et quand je voulus sauver mon cousin Armand ; sous la Restauration, ambassadeur à Rome, je n’avais eu avec madame la duchesse de Saint-Leu que des rapports de