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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pour faire une visite à la reine de Hollande. J’attendais madame de Chateaubriand, venant me rejoindre à Lucerne. Je me proposais d’examiner s’il ne serait pas préférable de se fixer d’abord en Souabe, sauf à descendre ensuite en Italie.

Dans la ville délabrée de Constance, notre auberge était fort gaie ; on y faisait les apprêts d’une noce. Le lendemain de mon arrivée, madame Récamier voulut se mettre à l’abri de la joie de nos hôtes : nous nous embarquâmes sur le lac, et, traversant la nappe d’eau d’où sort le Rhin pour devenir fleuve, nous abordâmes à la grève d’un parc.

Ayant mis pied à terre, nous franchîmes une haie de saules, de l’autre côté de laquelle nous trouvâmes une allée sablée circulant parmi des bosquets d’arbustes, des groupes d’arbres et des tapis de gazon. Un pavillon s’élevait au milieu des jardins, et une élégante villa s’appuyait contre une futaie. Je remarquai dans l’herbe des veilleuses toujours mélancoliques pour moi à cause des réminiscences de mes divers et nombreux automnes. Nous nous promenâmes au hasard, et puis nous nous assîmes sur un banc au bord de l’eau. Du pavillon des bocages s’élevèrent des harmonies de harpe et de cor qui se turent lorsque, char-

    des traces effrayantes, dit Mme Lenormant (Souvenirs et Correspondance, t. II, p. 572), Mme Récamier prit dans la mort une beauté surprenante. Ses traits, d’une gravité angélique, avaient l’aspect d’un beau marbre ; on n’y apercevait aucune contraction, aucune ride, et jamais la majesté du dernier sommeil ne fut accompagnée d’autant de douceur et de grâce. Un dessin, transporté sur la pierre par Achille Devéria, a conservé le souvenir de cette remarquable circonstance ; ce dessin, dont nous pouvons attester la scrupuleuse exactitude, prouve à son tour la fidélité de notre récit. »