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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

frappant doucement le sein avec sa main : « Per me ? » Je lui réponds : « Pour vous. » Notre conversation finit là.

Lucerne, 26 août 1832.

Madame de Chateaubriand n’est point encore arrivée, je vais faire une course à Constance. Voici M. A. Dumas[1] ; je l’avais déjà aperçu chez David, tandis qu’il se faisait mouler chez le grand sculpteur. Madame de Colbert, avec sa fille madame de Brancas, traverse aussi Lucerne[2]. C’est chez madame de Colbert, en Beauce, que j’écrivis, il y a près de vingt ans, dans ces Mémoires[3], l’histoire de ma jeunesse à Combourg. Les lieux semblent voyager avec moi, aussi mobiles, aussi fugitifs que ma vie.

Le courrier de la malle m’apporte une très belle

  1. Le 5 juin 1832, le jour des funérailles du général Lamarque, Alexandre Dumas avait suivi le cortège en costume d’artilleur ; le bruit courait qu’il avait distribué des armes à la Porte Saint-Martin. Le 9 juin, un journal annonça que l’auteur de la Tour de Nesle, pris les armes à la main, avait été fusillé le 6 au matin. Un aide de camp du roi courut chez lui, le trouva en parfaite santé, et l’informa que l’éventualité de son arrestation avait été sérieusement discutée. On lui conseillait d’aller passer un mois ou deux à l’étranger, pour se faire oublier. Il mit ordre à ses affaires dramatiques, toucha de l’argent de Harel (ce qui n’était pas un petit succès), et, le 21 juillet 1832, muni d’un passeport en règle, il partit pour la Suisse. Vers le commencement d’octobre, il était de retour à Paris. Ses Impressions de voyage, dont la publication commença en 1833, sont restées le meilleur de ses ouvrages. Au tome III, il raconte sa visite à l’auteur du Génie du Christianisme dans un chapitre intitulé : Les Poules de M. de Chateaubriand.
  2. L’une et l’autre ne sont plus. (Paris, note de 1836.) Ch. — Sur la comtesse de Colbert, voir, au tome I, la note 2 de la page 124 (note 3 du Livre III de la Première Partie).
  3. Voir, première partie, livre III, les pages 123-126.