Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/588

Cette page a été validée par deux contributeurs.
572
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

par des traits d’une grande correction. Chaque vallée, chaque réduit avec ses lacs, ses rochers, ses forêts, devient un temple de silence et de solitude. En hiver, les montagnes nous présentent l’image des zones polaires ; en automne, sous un ciel pluvieux, dans leurs différentes nuances de ténèbres, elles ressemblent à des lithographies grises, noires, bistrées : la tempête aussi leur va bien, de même que les vapeurs, demi-brouillards, demi-nuages, qui roulent à leurs pieds ou se suspendent à leurs flancs.

Mais les montagnes ne sont-elles pas favorables aux méditations, à l’indépendance, à la poésie ? De belles et profondes solitudes mêlées de mer ne reçoivent-elles rien de l’âme, n’ajoutent-elles rien à ses voluptés ? Une sublime nature ne rend-elle pas plus susceptible de passion, et la passion ne fait-elle pas mieux comprendre une nature sublime ? Un amour intime ne s’augmente-t-il pas de l’amour vague de toutes les beautés des sens et de l’intelligence qui l’environnent, comme des principes semblables s’attirent et se confondent ? Le sentiment de l’infini, entrant par un immense spectacle dans un sentiment borné, ne l’accroît-il pas, ne l’étend-il pas jusqu’aux limites où commence une éternité de vie ?

Je reconnais tout cela ; mais entendons-nous bien : ce ne sont pas les montagnes qui existent telles qu’on les croit voir alors ; ce sont les montagnes comme les passions, le talent et la muse en ont tracé les lignes, colorié les ciels, les neiges, les pitons, les déclivités, les cascades irisées, l’atmosphère flou, les ombres tendres et légères : le paysage est sur la palette de Claude le Lorrain, non sur le Campo-Vaccino. Faites-