changé depuis vingt-quatre heures : plus d’orage, plus d’apparition dans ma chambre solitaire. Je suis venu passer la nuit à l’auberge de Fluelen, ayant parcouru deux fois la route dont les extrémités aboutissent à deux lacs et sont tenues par deux peuples liés d’un même nœud politique, séparés sous tous les autres rapports. J’ai traversé le lac de Lucerne, il avait perdu à mes yeux une partie de son mérite : il est au lac de Lugano ce que sont les ruines de Rome aux ruines d’Athènes, les champs de la Sicile aux jardins d’Armide.
Au surplus, j’ai beau me battre les flancs pour arriver à l’exaltation alpine des écrivains de montagne, j’y perds ma peine.
Au physique, cet air vierge et balsamique qui doit ranimer mes forces, raréfier mon sang, désenfumer ma tête fatiguée, me donner une faim insatiable, un repos sans rêves, ne produit point pour moi ces effets. Je ne respire pas mieux, mon sang ne circule pas plus vite, ma tête n’est pas moins lourde au ciel des Alpes qu’à Paris. J’ai autant d’appétit aux Champs-Élysées qu’au Montanvers, je dors aussi bien rue Saint-Dominique qu’au mont Saint-Gothard, et si j’ai des songes dans la délicieuse plaine de Montrouge, c’est qu’il en faut au sommeil.
Au moral, en vain j’escalade les rocs, mon esprit n’en devient pas plus élevé, mon âme plus pure ; j’emporte les soucis de la terre et le faix des turpitudes humaines. Le calme de la région sublunaire d’une marmotte ne se communique point à mes sens éveillés. Misérable que je suis, à travers les brouillards qui roulent à mes pieds, j’aperçois toujours la figure