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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qui m’environnent, aucun rayon de soleil ne viendra me réchauffer. Quelle pitié de traîner, à travers ces monts, des pas fatigués que personne ne voudrait suivre ! Quel malheur de ne me trouver libre d’errer de nouveau qu’à la fin de ma vie !

Deux heures.

Ma barque s’est arrêtée à la cale d’une maison sur la rive droite du lac, avant d’entrer dans le golfe d’Uri. J’ai gravi le verger de cette auberge et suis venu m’asseoir sous deux noyers qui protègent une étable. Devant moi, un peu à droite, sur le bord opposé du lac, se déploie le village de Schwytz, parmi des vergers et les plans inclinés de ces pâturages dits Alpes dans le pays : il est surmonté d’un roc ébréché en demi-cercle et dont les deux pointes, le Mythen et le Haken (la mitre et la crosse), tirent leur appellation de leur forme. Ce chapiteau cornu repose sur des gazons, comme la couronne de la rude indépendance helvétique sur la tête d’un peuple de bergers. Le silence n’est interrompu autour de moi que par le tintement de la clochette de deux génisses restées dans l’étable voisine : elle semble me sonner la gloire de la pastorale liberté que Schwytz a donnée, avec son nom, à tout un peuple : un petit canton dans le voisinage de Naples, appelé Italia, a de même, mais avec des droits moins sacrés, communiqué son nom à la terre des Romains.

Trois heures.

Nous partons ; nous entrons dans le golfe ou le lac d’Uri. Les montagnes s’élèvent et s’assombrissent. Voilà la croupe herbue du Grütli et les trois fon-