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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pantalonnade. Cette Mort du peintre satirique a une jambe de moins comme le mendiant à jambe de bois qu’elle accoste ; elle joue de la mandoline derrière l’os de son dos, comme le musicien qu’elle entraîne. Elle n’est pas toujours chauve ; des brins de cheveux blonds, bruns, gris, voltigent sur le cou du squelette et le rendent plus effroyable en le rendant presque vivant. Dans un des cartouches, la Mort a quasi de la chair, elle est quasi jeune comme un jeune homme, et elle emmène une jeune fille qui se regarde dans un miroir. La Mort a dans son bissac des tours d’un écolier narquois ; elle coupe avec des ciseaux la corde du chien qui conduit un aveugle, et l’aveugle est à deux pas d’une fosse ouverte ; ailleurs, la Mort, en petit manteau, aborde une de ses victimes avec les gestes d’un Pasquin. Holbein a pu prendre l’idée de cette formidable gaieté dans la nature même : entrez dans un reliquaire, toutes les têtes de mort semblent ricaner, parce qu’elles découvrent les dents ; c’est le rire. De quoi ricanent-elles ? du néant ou de la vie ?

La cathédrale de Bâle et surtout les anciens cloîtres m’ont plu. En parcourant ces derniers, remplis d’inscriptions funèbres, j’ai lu les noms de quelques réformateurs. Le protestantisme choisit mal le lieu et prend mal son temps quand il se place dans les monuments catholiques ; on voit moins ce qu’il a réformé que ce qu’il a détruit. Ces pédants secs qui pensaient refaire un christianisme primitif dans un vieux christianisme, créateur de la société depuis quinze siècles, n’ont pu élever un seul monument. À quoi ce monument eût-il répondu ? Comment aurait-il été en rapport avec les mœurs ? Les hommes n’étaient point faits comme