Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/565

Cette page a été validée par deux contributeurs.
549
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

le Bâle romain et germanique. Louis XIV étendit la France jusqu’aux portes de cette ville, et trois monarques ennemis[1] la traversèrent en 1813 pour venir dormir dans le lit de Louis le Grand, en vain défendu par Napoléon. Allons voir les danses de la mort de Holbein ; elles nous rendront compte des vanités humaines.

La danse de la mort (si toutefois ce n’était pas même alors une véritable peinture) eut lieu à Paris, en 1424, au cimetière des Innocents : elle nous venait de l’Angleterre. La représentation du spectacle fut fixée dans des tableaux ; on les vit exposés dans les cimetières de Dresde, de Lubeck, de Minden, de la Chaise-Dieu, de Strasbourg, de Blois en France, et le pinceau de Holbein immortalisa à Bâle ces joies de la tombe.

Ces danses macabres du grand artiste ont été emportées à leur tour par la mort, qui n’épargne pas ses propres folies : il n’est resté à Bâle, du travail d’Holbein, que six pièces sciées sur les pierres du cloître et déposées à la bibliothèque de l’Université. Un dessin colorié a conservé l’ensemble de l’ouvrage.

Ces grotesques sur un fond terrible ont du génie de Shakespeare, génie mêlé de comique et de tragique. Les personnages sont d’une vive expression : pauvres et riches, jeunes et vieux, hommes et femmes, papes, cardinaux, prêtres, empereurs, rois, reines, princes, ducs, nobles, magistrats, guerriers, tous se débattent et raisonnent avec et contre la Mort ; pas un ne l’accepte de bonne grâce.

La Mort est variée à l’infini, mais toujours bouffonne à l’instar de la vie, qui n’est qu’une sérieuse

  1. L’empereur de Russie, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse.