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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

contre le mur : je sortis tout ému de tant de talent et de tant de malheur.

À Vesoul, surgit, après un long bannissement, Charles X[1], maintenant faisant voile vers le nouvel exil qui sera pour lui le dernier.

J’ai passé la frontière sans accident avec mon fatras : voyons si, au revers des Alpes, je ne pourrais jouir de la liberté de la Suisse et du soleil de l’Italie, besoin de mes opinions et de mes années.

À l’entrée de Bâle, j’ai rencontré un vieux Suisse, douanier ; il m’a fait faire bedit garandaine d’in guart d’hire ; on a descendu mon bagage dans une cave ; on a mis en mouvement je ne sais quoi qui imitait le bruit d’un métier à bas ; il s’est élevé une fumée de vinaigre, et, purifié ainsi de la contagion de la France, le bon Suisse m’a relâché.

J’ai dit dans l’Itinéraire, en parlant des cigognes d’Athènes : « Du haut de leurs nids, que les révolutions ne peuvent atteindre, elles ont vu au-dessous d’elles changer la race des mortels : tandis que des générations impies se sont élevées sur les tombeaux des générations religieuses, la jeune cigogne a toujours nourri son vieux père. »

Je retrouve à Bâle le nid de cigogne que j’y laissai il y a six ans ; mais l’hôpital au toit duquel la cigogne de Bâle a échafaudé son nid n’est pas le Parthénon, le soleil du Rhin n’est pas le soleil du Céphise, le concile n’est pas l’aréopage. Érasme n’est pas Périclès ; pourtant c’est quelque chose que le Rhin, la forêt Noire,

  1. C’était par Vesoul que le comte d’Artois était rentré en France au mois de février 1814, et il avait daté de cette ville, le 27 février, sa Proclamation aux Français.