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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avec reconnaissance ; mais une trentaine de mille francs restait toujours à payer, en outre de mes vieilles dettes, car j’en ai qui ont de la barbe, tant elles sont âgées ; malheureusement, cette barbe est une barbe d’or, dont la coupe annuelle se fait sur mon menton.

M. le duc de Lévis, à son retour d’un voyage en Écosse, m’avait dit, de la part de Charles X, que ce prince voulait continuer à me faire ma pension de pair ; je crus devoir refuser cette offre. Le duc de Lévis revint à la charge, quand il me vit, au sortir de prison, dans l’embarras le plus cruel, ne trouvant rien de ma maison et de mon jardin rue d’Enfer, et étant harcelé par une nuée de créanciers. J’avais déjà vendu mon argenterie. Le duc de Lévis m’apporta vingt mille francs, me disant noblement que ce n’était pas les deux années de pension de pairie que le roi reconnaissait me devoir, et que mes dettes à Rome n’étaient qu’une dette de la couronne. Cette somme me mettait en liberté, je l’acceptai comme un prêt momentané, et j’écrivis au roi la lettre suivante[1] :

« Sire,

« Au milieu des calamités dont il a plu à Dieu de sanctifier votre vie, vous n’avez point oublié ceux qui souffrent au pied du trône de saint Louis. Vous daignâtes me faire connaître, il y a quelques mois, votre généreux dessein de me continuer la pension de pair à laquelle je renonçai en refusant le serment au pouvoir illégitime ; je pensai que Votre Majesté

  1. On verra dans mon premier voyage à Prague ma conversation avec Charles X au sujet de ce prêt. (Note de Paris, 1834.)
    Ch.