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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Par cette réponse, M. Barthe[1] se réservait gracieusement une nouvelle poursuite contre moi. Je me souviens des superbes dédains des grands hommes du juste-milieu, quand je laissais entrevoir la possibilité d’une violence exercée sur ma personne ou sur mes écrits. Eh ! bon Dieu ! pourquoi me parer d’un danger imaginaire ? Qui s’embarrassait de mon opinion ? qui songeait à toucher à un seul de mes cheveux ? Amés et féaux du pot-au-feu, intrépides héros de la paix à tout prix, vous avez pourtant eu votre terreur de comptoir et de police, votre état de siège de Paris, vos mille procès de presse, vos commissions militaires pour condamner à mort l’auteur des Cancans[2] ; vous

  1. Félix Barthe (1795-1863). Affilié au Carbonarisme, très mêlé comme avocat à tous les procès politiques, ayant pris une part active à la révolution de Juillet, il était entré, dès le 27 décembre 1830, dans le ministère disloqué de M. Laffitte, pour remplacer à l’instruction publique M. Mérilhou. Le 12 mars 1831, il avait échangé, dans le nouveau cabinet Casimir Perier, le portefeuille de l’instruction publique contre celui de la justice. Il garda les sceaux jusqu’au 4 avril 1834 et tomba avec le ministère de Broglie. Il fut alors nommé pair de France et président de la Cour des Comptes. Le second Empire le fit sénateur.
  2. Pierre-Clément Bérard. Pendant les Cent-Jours, il s’était enrôlé, à dix-sept ans, dans le corps des volontaires royaux de l’École de droit de Paris, et il avait accompagné à Gand le roi Louis XVIII. En 1831 et 1832, il fit paraître un petit pamphlet hebdomadaire, les Cancans, dont le titre variait chaque semaine : Cancans parisiens, Cancans accusateurs, Cancans courtisans, Cancans inflexibles, Cancans saisis, Cancans prisonniers, etc. Chaque numéro se terminait par une chanson. C’était comme une résurrection, après 1830, des Actes des Apôtres, de Rivarol, de Champcenetz et de leurs amis. Même violence, et aussi même vaillance et même verve. Seulement, les Cancans étaient rédigés, non par une société d’hommes d’esprit, mais par M. Bérard tout seul : il avait, il est vrai, de l’esprit comme quatre, et même comme quarante. Saisies et procès pleuvaient naturellement sur les Cancans et sur leur auteur, qui se vit à la fin condamné à