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France depuis quarante années, celui de Philippe est le seul qui m’ait jeté dans la loge des bandits ; il a posé sur ma tête sa main, sur ma tête respectée même d’un conquérant irrité : Napoléon leva le bras et ne frappa pas. Et pourquoi cette colère[1] ? Je vais vous le dire : j’ose protester en faveur du droit contre le fait, dans un pays où j’ai demandé la liberté sous l’Empire, la gloire sous la Restauration ; dans un pays où, solitaire, je compte non par frères, sœurs, enfants, joies, plaisirs, mais par tombeaux. Les derniers changements politiques m’ont séparé du reste de mes amis : ceux-ci sont allés à la fortune et passent, tout engraissés de leur déshonneur, auprès de ma pauvreté ; ceux-là ont abandonné leurs foyers exposés

  1. M. Guizot, dans ses Mémoires (tome II, page 344), apprécie en ces termes l’arrestation de Chateaubriand : « L’arrestation de MM. de Chateaubriand, Fitz-James, Hyde de Neuville et Berryer, ne fut pas une faute moins grave. C’étaient là, pour le gouvernement de 1830, des ennemis, non des insurgés, ni des conspirateurs ; ils ne voulaient pas sa durée, et n’y croyaient pas ; mais ils ne croyaient pas davantage à l’opportunité et à l’efficacité des complots et de la guerre civile pour le renverser ; c’étaient d’autres armes qu’ils cherchaient pour lui nuire ; c’était avec d’autres armes que les prisons et les procès qu’il fallait les combattre. La Restauration avait donné, en pareille circonstance, un sage et noble exemple : MM. de La Fayette, Voyer d’Argenson et Manuel étaient, à coup sûr, contre elle, de plus sérieux et redoutables conspirateurs que MM. de Chateaubriand, de Fitz-James, Hyde de Neuville et Berryer ne pouvaient l’être contre le gouvernement de Juillet. De 1820 à 1822, le duc de Richelieu et M. de Villèle avaient, contre ces chefs libéraux, de bi478en autres griefs et de bien autres preuves que le cabinet de 1832 n’en pouvait recueillir contre les chefs légitimistes qu’il fit arrêter. Pourtant ils ne voulurent jamais ni les emprisonner, ni les traduire en justice ; ils comprirent que le pouvoir qui veut mettre un terme aux révolutions ne doit pas porter, dans les hautes régions de la société, la guerre à outrance… »