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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

seule dans le petit jardin, un livre à la main. Elle jetait à la dérobée un regard vers ma fenêtre. Qu’il eût été doux d’être délivré de mes fers, comme Cervantes, par la fille de mon maître ! Tandis que je prenais un air romantique, le beau et jeune M. Nay vint dissiper mon rêve. Je l’aperçus causant avec Mademoiselle Gisquet de cet air qui nous trompe pas, nous autres créateurs de sylphides. Je dégringolai de mes nuages, je fermai ma fenêtre et j’abandonnai l’idée de laisser pousser ma moustache blanchie par le vent de l’adversité.

Après quinze jours, une ordonnance de non-lieu me rendit la liberté, le 30 de juin, au grand bonheur de madame de Chateaubriand, qui serait morte, je crois, si ma détention se fût prolongée. Elle vint me chercher dans un fiacre ; je le remplis de mon petit bagage aussi lestement que j’étais jadis sorti du ministère, et je rentrai dans la rue d’Enfer avec ce je ne sais quoi d’achevé que le malheur donne à la vertu.

Si M. Gisquet allait par l’histoire à la postérité, peut-être y arriverait-il en assez mauvais état ; je désire que ce que je viens d’écrire de lui serve ici de contre-poids à une renommée ennemie. Je n’ai eu qu’à me louer de ses attentions et de son obligeance ; sans doute si j’avais été condamné, il ne m’eût pas laissé échapper ; mais, enfin lui et sa famille m’ont traité avec une convenance, un bon goût, un sentiment de ma position, de ce que j’étais et de ce que j’avais été, que n’ont point eus une administration lettrée et des légistes d’autant plus brutaux qu’ils agissaient contre le faible et qu’ils n’avaient pas peur.

De tous les gouvernements qui se sont élevés en