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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

à quelques mois de détention, il les passait dans une maison de santé à Chaillot ; appelé en témoignage à Paris dans un procès, il profita de l’occasion et ne retourna pas à son gîte ; mais il s’en repentit : dans le lieu où il se tenait caché, il ne pouvait plus voir à l’aise une enfant qu’il aimait ; il regrette sa prison, et, ne sachant comment y rentrer, il m’écrivit la lettre suivante pour me prier de négocier cette affaire avec mon hôte :

« Monsieur,

« Vous êtes prisonnier et vous me comprendriez, ne fussiez-vous pas Chateaubriand… Je suis prisonnier aussi, prisonnier volontaire depuis la mise en état de siège, chez un ami, chez un pauvre artiste comme moi. J’ai voulu fuir la justice des conseils de guerre dont j’étais menacé par la saisie de mon journal du 9 courant. Mais, pour me cacher, il a fallu me priver des embrassements d’une enfant que j’idolâtre, d’une fille adoptive âgée de cinq ans, mon bonheur et ma joie. Cette privation est un supplice que je ne pourrais supporter plus longtemps, c’est la mort ! Je vais me trahir et ils me jetteront à Sainte-Pélagie, où je ne verrai ma pauvre enfant que rarement, s’ils le veulent encore, et à des heures données, où je tremblerai pour sa santé et où je mourrai d’inquiétude, si je ne la vois pas tous les jours.

« Je m’adresse à vous, monsieur, à vous légitimiste, moi républicain de tout cœur, à vous homme grave et parlementaire, moi caricaturiste et partisan de la plus âcre personnalité politique, à vous de qui je