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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

mes papiers, mais n’avaient rien pris. Mon grand sabre de Mamelouck fixa leur attention ; ils se parlèrent tout bas et finirent par laisser l’arme sous un tas d’in-folios poudreux, au milieu desquels elle gisait, avec un crucifix de bois jaune que j’avais apporté de la Terre-Sainte.

Cette pantomime m’aurait presque donné envie de rire, mais j’étais cruellement tourmenté pour Mme de Chateaubriand. Quiconque la connaît, connaît aussi la tendresse qu’elle me porte, ses frayeurs, la vivacité de son imagination et le misérable état de sa santé : cette descente de la police et mon enlèvement pouvaient lui faire un mal affreux. Elle avait déjà entendu quelque bruit et je la trouvai assise dans son lit, écoutant tout effrayée, lorsque j’entrai dans sa chambre à une heure si extraordinaire.

« Ah ! bon Dieu ! s’écria-t-elle ; êtes-vous malade ? Ah ! bon Dieu, qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’il y a ? » et il lui prit un tremblement. Je l’embrassai, ayant peine à retenir mes larmes, et je lui dis : « Ce n’est rien, on m’envoie chercher pour faire ma déclaration comme témoin dans une affaire relative à un procès de presse. Dans quelques heures tout sera fini et je vais revenir déjeuner avec vous. »

Le mouchard était resté à la porte ouverte ; il voyait cette scène, et je lui dis, en allant me remettre entre ses mains : « Vous voyez, monsieur, l’effet de votre visite un peu matinale. » Je traversai la cour avec mes recors ; trois d’entre eux montèrent avec moi dans le fiacre, le reste de l’escouade accompagnait à pied la capture et nous arrivâmes sans encombre dans la cour de la préfecture de police.