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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le cardinal de Retz n’apprend rien sur les mœurs romaines. J’aime mieux le petit Coulanges et ses deux voyages en 1656 et 1689 : il célèbre ces vignes et ces jardins dont les noms seuls ont un charme.

Dans la promenade à la Porta Pia, je retrouve presque toutes les personnes nommées par Coulanges : les personnes ? non ! leurs petits-fils et petites-filles.

Madame de Sévigné reçoit les vers de Coulanges ; elle lui répond du château des Rochers dans ma pauvre Bretagne, à dix lieues de Combourg : « Quelle triste date auprès de la vôtre, mon aimable cousin ! Elle convient à une solitaire comme moi, et celle de Rome à celui dont l’étoile est errante. Que la fortune vous a traité doucement, comme vous dites, quoiqu’elle vous ait fait querelle !!![1] »

Entre le premier voyage de Coulanges à Rome, en 1656, et son second voyage, en 1689, il s’était écoulé trente-trois ans : je n’en compte que vingt-cinq de perdus depuis mon premier voyage à Rome, en 1803, et mon second voyage en 1828. Si j’avais connu madame de Sévigné, je l’aurais guérie du chagrin de vieillir.

  1. Mme de Sévigné écrivait encore à M. de Coulanges : « Je fis réflexion à cette vie de Rome, si bien mêlée de profane et de santissimo… Je songeai à cette boule où vous étiez grimpé avec vos jambes de vingt ans (la boule qui surmonte la coupole de Saint-Pierre)… et combien je me promènerais de jours et d’années dans le plain-pied de nos allées, sans me trouver jamais dans cette boule. » Un peu plus loin, elle dit : « Ah ! que j’aimerais à faire un voyage à Rome ! » Puis elle ajoute : « Mais ce serait avec le visage et l’air que j’avais il y a bien des années, et non avec celui que j’ai maintenant. Il ne faut point remuer ses os, surtout les femmes, à moins d’être ambassadrice. »