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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Romaines ne portaient point de loup ou de masque comme les Françaises ; elles paraissaient en public couvertes de perles et de pierreries, mais leur ceinture était trop lâche et elles ressemblaient à des femmes enceintes. Les hommes étaient habillés de noir, « et bien qu’ils fussent ducs, comtes et marquis, ils avaient l’apparence un peu vile. »

N’est-il pas singulier que saint Jérôme remarque la démarche des Romaines qui les fait ressembler à des femmes enceintes : solutis genibus fractus incessus, « à pas brisés, les genoux fléchissants ? »

Presque tous les jours, lorsque je sors par la porte Angélique, je vois une chétive maison assez près du Tibre, avec une enseigne française enfumée représentant un ours ; c’est là que Michel, seigneur de Montaigne, débarqua en arrivant à Rome, non loin de l’hôpital qui servit d’asile à ce pauvre fou, homme formé à l’antique et pure poésie, que Montaigne avait visité dans sa loge à Ferrare, qui lui avait causé encore plus de dépit que de compassion.

Ce fut un événement mémorable, lorsque le XVIIe siècle députa son plus grand poète protestant et son plus sérieux génie pour visiter, en 1638, la grande Rome catholique. Adossée à la croix, tenant dans ses mains les deux Testaments, ayant derrière elle les générations coupables sorties d’Éden, et de-

    fût-ce que pour l’ancien honneur et religieuse mémoire de son autorité. » Il fut admis au droit de cité, « par les suffrages et le jugement souverain du peuple et du Sénat, l’an de la fondation de Rome 2331. » L’auteur des Essais ne se faisait pas illusion sur l’importance de cette dignité tant désirée : « C’est un titre vain, » disait-il ; puis il ajoutait avec sa naïve franchise : « Tant y a que j’ai reçu beaucoup de plaisir de l’avoir obtenu. »