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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Rome. Les églises étaient nues, sans statues de saints, sans tableaux, moins ornées et moins belles que les églises de France. Montaigne était accoutumé à la vastité sombre de nos cathédrales gothiques ; il parle plusieurs fois de Saint-Pierre sans le décrire, insensible ou indifférent qu’il paraît être aux arts. En présence de tant de chefs-d’œuvre, aucun nom ne s’offre au souvenir de Montaigne ; sa mémoire ne lui parle ni de Raphaël, ni de Michel-Ange, mort il n’y avait pas encore seize ans.

Au reste, les idées sur les arts, sur l’influence philosophique des génies qui les ont agrandis ou protégés, n’étaient point encore nées. Le temps fait pour les hommes ce que l’espace fait pour les monuments ; on ne juge bien des uns et des autres qu’à distance et au point de la perspective ; trop près on ne les voit pas, trop loin on ne les voit plus.

L’auteur des Essais ne cherchait dans Rome que la Rome antique : « Les bastimens de cette Rome bastarde, dit-il, qu’on voit à cette heure, attachant à ces masures, quoiqu’ils aient de quoi ravir en admiration nos siècles présens, me font ressouvenir des nids que les moineaux et les corneilles vont suspendant en France aux voûtes et parois des églises que les huguenots viennent d’y démolir. »

Quelle idée Montaigne se faisait-il donc de l’ancienne Rome, s’il regardait Saint-Pierre comme un nid de moineaux, suspendu aux parois du Colisée ?

Le nouveau citoyen romain par bulle authentique de l’an 1581 depuis J.-C[1], avait remarqué que les

  1. Montaigne avait tenu à se faire citoyen romain. Il employa, dit-il, ses cinq sens de nature pour obtenir ce titre « ne